Les jardins suspendus de Babylone. Quand l’archéologie bouleverse le mythe.

Par défaut

Depuis l’Antiquité, les jardins suspendus de Babylone ont fait couler beaucoup d’encre. Toutes les sources affirment que les jardins suspendus se situaient à Babylone. Des écrivains grecs comme Hérodote ont décrit les splendeurs de la ville. Strabon et Diodore de Sicile ont notamment livré des descriptions très précises du système hydraulique utilisé pour les jardins suspendus. Mais aucun vestige de terrasse ou de système hydraulique n’a été retrouvé à Babylone. Ainsi aucune preuve archéologique ne permet d’affirmer que les jardins suspendus se trouvaient à Babylone.

Représentation des Jardins suspendus de Babylone,  Gravure du XVIe siècle, par l'artiste néerlandais Maarten van Heemskerck.

Représentation des Jardins suspendus de Babylone,
Gravure du XVIe siècle,
par l’artiste néerlandais Maarten van Heemskerck. www.cndp.fr

Pourtant rare sont les archéologues qui envisagent une autre localisation des jardins suspendus. Ce constat surprenant révèle l’influence du mythe de Babylone et de ses merveilles du monde antique, profondément ancré dans nos imaginaires. Ainsi le mythe exerce son autorité jusqu’à prendre le dessus sur la réalité archéologique. D’autres chercheurs doutent de l’existence même des jardins et enlèvent toute véracité au mythe. Deux positions extrêmes semblent scinder la communauté scientifique. Soit le mythe n’est pas relativisé soit tout crédit lui est retiré.

Localisation de Babylone et de Ninive, capitale du roi assyrien Sennachérib où se trouvait  les jardins suspendus selon l'archéologue Stéphanie Dalley. www.theguardian.com

Localisation de Babylone et de Ninive, capitale du roi assyrien Sennachéribse trouvait les jardins suspendus selon l’archéologue Stéphanie Dalley.
www.theguardian.com

Dans ce contexte la théorie controversée de l’archéologue Stéphanie Dalley de l’université d’Oxford mérite d’être présentée. Pour elle il est nécessaire de revoir tout ce qu’on croyait savoir sur les jardins suspendus de Babylone. Mais elle ne rejette pas le mythe pour autant, elle le met en relation avec les sources archéologiques et textuelles. En effet, elle est l’une des rares chercheuses à affirmer que les jardins suspendus n’ont jamais été à Babylone et n’ont pas été réalisé par le roi Nabuchodonosor II au VIe siècle avant JC. Ils se situeraient en fait à 400 km de l’ancienne Babylone, à Ninive (Nineveh de son nom antique), la capitale du roi assyrien Sennachérib et seraient donc antérieures d’un siècle à la Babylone de Nabuchodonosor II.

Prisme de Sénnachérib décrivant les réalisations du roi assyrien. Période néo-assyrienne, 691 BC, Ninive, nord de l'Irak. www.britishmuseum.org

Prisme de Sénnachérib décrivant les réalisations du roi assyrien.
Période néo-assyrienne, 691 BC, Ninive, nord de l’Irak.
www.britishmuseum.org

Stéphanie Dalley est spécialiste de la civilisation assyrienne. Elle est capable de déchiffrer l’écriture cunéiforme, compétence très rare étant donnée la complexité de cette langue. Pendant prêt de 2000 ans, personne n’était capable de le déchiffrer. Sur le prisme de Sennachérib elle a donc pu lire des inscriptions du roi assyrien décrivant les jardins qu’il a fait construire juste à côté de son palais à Ninive.

De plus un bas-relief du palais du roi, aujourd’hui conservé au British Museum, présente une représentation du palais et du jardin. On peut y voir des arbres flottant presque dans les aires. Par ailleurs, Sennachérib décrit son jardin comme étant une merveille pour tous les peuples. Ces deux éléments semblent visiblement faire référence aux jardins suspendus, merveille du monde antique. Ne provenant pas de Babylone, ces deux vestiges n’avaient pas retenu l’attention des chercheurs auparavant. Le prisme et le bas-relief constitue pourtant des sources inédites, allant à l’encontre de toutes les sources grecques. Par ailleurs, aucun texte de Nabuchodonosor, retrouvé dans les fondations de Babylone, ne fait allusion aux jardins.

Bas-relief du palais de Sénnachérib à Ninive représentant des jardins suspendus. www.arte.tv

Bas-relief du palais de Sénnachérib à Ninive représentant des jardins suspendus.
www.arte.tv

Le site de Ninive se situe au nord de l’Irak, à Mossoul. Cette région est actuellement l’une des plus dangereuses de la planète au point que les occidentaux y sont interdits. Les missions archéologiques occidentales sont donc interrompu ce qui pose un gros problème dans l’avancement des recherches. Cela n’a pas empêché Stéphanie Dalley de mener son enquête afin de vérifier ses hypothèses. Elle est donc partit à la recherche de l’œuvre de Sennachérib, le réseau de canaux parcourant le désert pour acheminer l’eau jusqu’aux jardins suspendus de Ninive.

Sources :

Reportage : Arte F, Les jardins suspendus de Babylone, Royaume-Uni, 2014.

ArticleQuand le désert irakien fleurissait,  Paula Boyer , 21/03/2014 via www.la-croix.com.

Les jardins suspendus de Babylone. Quand l’archéologie bouleverse le mythe. (Suite)

Par défaut

Il y a 50 ans Stéphanie Dalley avait découvert le point de départ d’un réseau hydraulique situé dans les montagnes de Khinis, au nord-est de Ninive. Le roi Sennachérib nous fait savoir que c’était lui l’auteur du réseau qui permettait d’acheminer l’eau jusqu’à Ninive.

L'un des quatre panneaux sculptés dans la roche à Khinis.  Représentation de Maltai un roi assyrien en face de sept statues des principaux dieux assyriens debout sur leurs animaux symboliques. www.asorblog.org

L’un des quatre panneaux sculptés dans la roche à Khinis.
Représentation de Maltai un roi assyrien en face de sept statues des principaux dieux assyriens debout sur leurs animaux symboliques.
www.asorblog.org

Des bas-reliefs présents sur le site figurent le roi accompagné de plusieurs dieux. Un peu plus loin, il semble que se trouvait une fontaine sur laquelle un lion est représenté, symbole du roi et de la grande déesse de Ninive, ce qui justifie sa présence ici. La chercheuse suppose que cette fontaine aurait servit à désaltérer les ouvriers qui construisait le réseau de canaux. Une énorme pierre placée au milieu de la rivière servait à détourner une partie de l’eau vers le canal. Il était conçu avec un dénivelé d’un mètre tous les kilomètre, ce qui permettait d’acheminer lentement l’eau jusqu’à Ninive. Le canal ressort 200 m après le panneau sculpté.

Vue du complexe monumental de Khinis avec des reliefs sculptés sur la roche au bout du canal de Sénnachérib.  Au centre, un grand relief représente le roi Sénnachérib devant les divinité Ashur et Mulissu. En haut, trois stèles taillées dans la roche représentent Sennachérib sous les symboles divins. asorblog.org

Vue du complexe monumental de Khinis avec des reliefs sculptés sur la roche au bout du canal de Sénnachérib.
Au centre, un grand relief représente le roi Sénnachérib devant les divinité Ashur et Mulissu. En haut, trois stèles taillées dans la roche représentent Sennachérib sous les symboles divins.                                                                                                                  asorblog.org

Dalley a sollicité l’aide de Jason Ur de l’université de Harvard. Il étudie le paysage du Proche-Orient ancien, il s’intéresse également aux vestiges du roi assyrien. Il utilise des documents du programme CORONA, programme américains d’espionnage satellite débuté dans les années 1960. Ces documents sont aujourd’hui déclassifié et tout le monde peut les consulter.

Dans le nord irakien, la majorité des vestiges du réseau ont été détruit par les nouvelles constructions mais les images satellites livrent de précieuses informations dans la mesure où ces clichés datent d’avant la construction des villes et des routes modernes. De nombreux sites ont par ailleurs étaient recouvert par des champs. Les travaux de Jason Ur révèlent l’immensité du réseau construit par Sennachérib.

Ce réseau partait des Monts Zagros, le long de la frontière iranienne, puis traversait toutes les plaines du nord de l’Irak pour aller jusqu’à Ninive. En moyenne, les canaux étaient larges de 100 m, profonds de 20 m et longs de 95 km. Certaines voies d’eau étaient aussi large que le canal de Panama.

Plan du système d'irrigation assyrien, avec localisation de Jerwan et des aqueducs récemment découvert.  www.asorblog.org

Plan du système d’irrigation assyrien, avec localisation de Jerwan et des aqueducs récemment découverts.
www.asorblog.org

A Jerwan, un aqueduc permettait au canal de franchir le plus gros affluant. Sur des blocs de l’aqueduc figure l’inscription « Sennachérib, roi du monde, roi d’Assyrie ». Pour Dalley Sennachérib est certainement l’auteur de ce projet. C’est l’un des plus vieux aqueducs connus, il constitue un chef d’œuvre de la technique assyrienne. Il a nécessité 2,5 million de blocs de pierre parfaitement taillés. Il se composait de cinq arches. Une structure de 280 m de long, 22 m de large et haute de 9 m servait de support au canal. Par ailleurs, les arches avaient une forme en pointe très caractéristique.

Partie ouest de l'aqueduc assyrien à Jerwan. www.asorblog.org

Partie ouest de l’aqueduc assyrien à Jerwan.
www.asorblog.org

Justement, sur le bas-relief du palais du roi les arches du jardin sont identiques aux arches de l’aqueduc de Jerwan. Pour l’archéologue, l’aqueduc de Jerwan est la preuve que le panneau sculpté n’était pas qu’une simple œuvre d’art mais un témoignage des réalisations du roi.

L’archéologue stéphanie Dalley sur le pont auqueduc de Jerwan.                                  www.la-croix.com

Actuellement, le site de Ninive est placé sous haute surveillance et aucun occidental ne peut se rendre sur le site. Mais Stéphanie Dalley a pu analyser un plan de la ville réalisé en 1904. Le palais de Sennachérib, long de 400 m, y figure. Derrière l’édifice, se trouve un espace disponible où les jardins auraient bien pu se trouver. En effet, dans son récit le roi précise qu’il a surélevé le sol à proximité du palais pour y aménager un jardin mais il n’y a aucune indication sur les dimensions et la configuration du jardin.

Vue aérienne du site de Ninive, cliché du programme CORONA, 1968. www.asorblog.org

Vue aérienne du site de Ninive, cliché du programme CORONA, 1968.
www.asorblog.org

Étrangement, des auteurs ayant vécu des siècles après livrent des informations beaucoup plus précises. L’écrivain grec Diodore de Sicile donne les dimensions du jardin et mentionne qu’un dénivelé lui donne l’aspect d’un amphithéâtre grec. Il se serait alors composé d’un carré de 123 m côte. Ce chiffre correspond justement à la forme et aux dimensions du terrain disponible à l’arrière du palais. On peut ainsi imaginer des terrasses en gradin entourant un bassin.

Le jardin nécessitait l’approvisionnement de 300 tonnes d’eau par jour. Il reste maintenant à savoir comment une telle quantité d’eau été amener jusqu’en haut du jardin.

Le roi a livré une description du système de traction d’eau. Il fait référence à des cordes, des câbles, des chaînes en bronze et il emploie également le mot « alamitou ». Le terme désignant un palmier-dattier, sa mention ici a éveillé l’attention de Stéphanie Dalley. Les feuilles coupées du palmier-dattier lui donne un aspect particulier, en effet une spirale s’enroule autour du tronc. Cette forme en spirale est exactement la même que celle de la vis d’Archimède, système d’élévation de l’eau inventé par ce dernier. Pour l’archéologue la référence à cet arbre serait une métaphore pour décrire cette innovation technique qui aurait donc été inventée 400 ans avant la naissance d’Archimède. Cette hypothèse apparaît être plausible quand on considère qu’à notre époque des innovations peuvent prendre le nom d’animaux comme les souris d’ordinateur.

Schéma du système de la vis d'Archimède.  www.pulse.edf.com

Schéma du système de la vis d’Archimède.
www.pulse.edf.com

La chercheuse a pu se procurer une vidéo du site de Ninive en passant par des agents chargés de la sécurité dans cette zone. C’était l’occasion de vérifier ses hypothèses mais de nombreux vestiges ont été détruits par les champs cultivés à quelques endroits du site. Cela peut expliquer pourquoi il n’y a apparemment aucune trace de jardin. Le sol étant trop érodé, il est difficile de repérer des éléments, surtout lorsqu’on ne dispose que d’une brève vidéo.

Toute étude approfondie de la capitale assyrienne reste malheureusement impossible temps que la guerre continue. En attendant, Stéphanie Dalley a déjà prouvé l’existence d’un système hydraulique de taille construit à l’initiative du roi assyrien.

Sources :

Reportage Arte, Les jardins suspendus de BabyloneRoyaume-Uni, 2014.

Article :

Quand le désert irakien fleurissait,  Paula Boyer , 21/03/2014 via www.la-croix.com.

Les Jardins suspendus de Babylone étaient-ils à Babylone ?, par lexpress.fr, 07/05/2013.